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recueil de Nouvelles, Novellas, Poèmes, Contes, Fables, Sonnets et... Poésies

Treize ''

Treize’’

 

 

 

 

 

 

Dès la première, je sus!

 

J’avais pourtant désiré qu’elle s’arrête.

Confusément…

 

Et aussi !

Secrètement, qu’elle resta interminable…

 

Tant son parfum et son goût étaient doux.

 

J’eus, à la seconde, arrivée trop précipitamment…l’instant d’une incertitude.

Très effrayée, j’avais même souhaité que la première s'immobilise enfin définitivement. Pour en rester là.

Ce n’était plus tenable.

Cependant, quand était arrivée la troisième seconde, vint un trouble délicieux qui ne me permettait plus de contrôler exactement mes certitudes.

Et ce que j’aurais pu faire ?

Pour m’aider à penser autrement !

 

 

Essoufflée, je venais de manquer mon dernier train.

Lui, peut-être aussi ?

Pourquoi avais-je eu envie de suivre ce regard ainsi ?

Sur le quai pavé de ces pas perdus, des ombres circulaient entre rapines et gruaux. L’odeur forte du sel, mélangée à celle de l’eau, le parfum des filets séchant le long des portes avaient dû en même temps que ce phénomène étrange, légèrement m’enivrer. La tête me tournait. Mon cœur était barbouillé et mes jambes refusaient d’aller plus loin.

Je m’étais assise sur un siège en simili rouge. Pressée par ce silence inédit.

Entre cet inconnu et le bonheur qui surgissait dans ma vie.

 

 

Á la quatrième ! Déjà ! Mon Dieu que le temps passe vite dans ces moments-là,

Il me dévorait des yeux.

Je n’avais pu me détacher des siens. Tout allait trop rapidement et lors de cette étreinte rétinienne toute bleue, de mon corps, le désordre s’était emparé.

J’avais senti avec délicatesse que je perdais pied.

Mais je me souviens aussi. Avoir eu peur ! Qu’il ne renonce !

Qu’il recule ! Comme devant la difficulté, à l’arrachage d’une ronce !

Par timidité ou par lâcheté.

Ou bien par les deux !

Cela dura deux secondes supplémentaires pendant lesquelles avait défilé à toute allure devant mes yeux, une bonne partie de notre vie que nous aurions pu avoir ensemble. Après !

Bien après que cette brève aventure nous rassemble.

Et si la ferveur et la chaleur entrevues lors des six pionnières !

M’avaient néanmoins permis de repousser les assauts de mon idéal féminin, j’avais pris les devants la première.

Déjà résolue à changer les codes d’accès.

Á ces yeux jamais revus.

 

En gare de Sète, séparés par un quai où des rames circulaient.

N’ayant pas le goût pour le pas de côté, j’avais osé interpréter avec mes bras, un ballet. Un ballet sauvage. Très saccadé. Fait de soubresauts à la chorégraphie ténue.

Dans ma jolie robe percale. Parsemée de Campanules raiponce.

Á la suivante seconde, avant que la musique furibonde, n’annonce déjà le chant du cygne de son départ, il agitait sa main ! Comme un signe. En guise de caresse ? En guise de réponse ?

Et si ce quai ne nous avait pas séparés,

Sa main forte dans la mienne aux ongles allongés,

Seraient restées ainsi.

Enlacées par nos phalanges tenues.

 

Durant ce temps très bref, en manque de repères et sans même le voir, j’avais un peu hésité. Puis titubé. Mais à mon grand étonnement, avancé vers l’autorail.

Un point de côté m’empêchait de courir.

Mais je ne pouvais pas, plutôt mourir !

M’imaginer le quitter sans jamais lui parler.

La foule, depuis les quais semblait ricaner. Devant nos deux visages courant sur les rails.

Et se moquer singulièrement sur cette presqu’île, de nos deux silhouettes.

Prises dans les cris des mouettes.

 

Je venais de passer, comme une souris craintive file le long d’une plinthe.

J’aurais voulu hurler dans un mégaphone. Déclencher un plan Orsec.[1]

Mais surtout ! Faire dérailler sa correspondance.

Á la neuvième seconde, déjà en gare !

Quand un contrôleur aphone aux yeux secs,

M’indiquait d’un doigt à l’horizontale, mon point de non-retour.

Je n’avais pas aimé son humour.

 

Étrange beauté folle. Entre animalité et humanité, ma danse,

Émise comme une plainte,

Tentait d’expliquer cet amour soudain dans cette fin d’après-midi torride.

Et dans le tintamarre de la gare, à la dixième j’étais sortie de mes gonds.

Le conducteur larguait déjà les amarres. De sa rame de wagons.

Il faisait presque; presque aussi chaud cet après-midi-là, que sur la presqu’île de Tauride.[2]

 

Á l’antépénultième seconde, l’amour était en suspension.

Pourquoi tant d’injustice quand on court après une chimère.

Réalité charnelle, je n’étais pas bien dans ma peau…

Comment interpréter cet énigmatique pouvoir d’attraction ?

Je n’aurais jamais pu le demander à ma mère !

Je ne pouvais le quitter sans avoir pu toucher sa peau.

C’était mon obsession.

 

Je regardais partir au loin les bateaux. Chargés de fleurs de sel.

Écorchée, les yeux à fleur de larmes. Les nerfs à fleur d’eau…

Je me voyais déjà répéter la tragédie de Phèdre.

« … Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,

Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue…»

Avec un bel angle, dans le faisceau de mon dièdre.

 

À la douzième, à l’heure où les vertiges d’un homme et d’une femme réglés à la seconde près par deux grandes aiguilles sur un quai, une musique jaillissait des haut-parleurs suivie par l’annonce du chef de gare bougon.

Plus qu’une seconde !

J’aurais voulu lui dire à la treizième et dernière,

- Non, ne dit rien mon amour. Reviens demain par le même chemin, je te donnerai ma main. Et dans les embruns de mon chagrin,

Le départ de son wagon.

 

 

                                                                          *

 

 

Comment ? Comment vivre après, dans le désordre brutal et béant de ces treize secondes ?

À voir partir ces souvenirs recollés qu’on n’a pas su retenir et jamais retrouvés.

Pourtant, dès la première seconde, je sus.

Après l’avoir manqué.

De peu, d’un rien. Mon flash amoureux.

Au bout de ce quai où le bonheur était passé.

 

Pourtant dès la première, mon bel amant.

Je sus que c’était toi. Et pour l’éternité !

Mon secret !

Douloureux.

Jalousement gardé tout ce temps.

 

 

                                                                          *

 

 

 

Dans une maison de retraite, une vieille dame assise sur un divan en simili rouge me raconte « son flash amoureux ». Ses Treize secondes !

Pendant lesquelles elle vit passer l’amour de sa vie !

Les plus longues de son existence. Les plus courtes. Aussi !

 

 

                                                                          *

 

                                                                                                       Marc Daurargi

 

 

[1] Organisation de la Réponse de SÉcurité Civile

[2] Nom donné par les Grecs antiques, à la presqu'île de Crimée

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